Professeur de philosophie
Doctorant en psychologie
Mardi 7 Novembre 2023
Le principe fondateur de nos démocraties modernes et libérales repose sur la rationalité des individus. Emmanuel Kant affirmait que chaque individu est capable de raisonner et de prendre des décisions rationnelles et autonomes. Ce fondement idéal de la démocratie suppose une participation citoyenne éclairée, libre des influences, et la croyance en une rationalité innée chez les êtres humains. Il a également sous-tendu la vision économique de l'individu en tant qu'homo economicus.
Aujourd'hui, la démocratie est mise à mal par l'effondrement de ce principe et l'irréalité de cet espoir. La psychologie du raisonnement, dès les années 70, a révélé que l'on ne peut plus simplement appeler les gens à penser et réfléchir, car le mécanisme même du raisonnement est défaillant. Une série de biais cognitifs nous empêche d'affirmer avec autant de vigueur l'espoir kantien. Les biais de confirmation, le raisonnement motivé, les biais de croyances, les biais du survivant, etc., compromettent tous la prise de décision rationnelle des individus dans leur vie quotidienne. Comment y échapper alors dans leur vie politique et citoyenne ?
Nous ne pouvons plus ignorer l'existence de ce problème. La solution la plus évidente serait de dire que si le fondement même d'une démocratie valable s'effondre, la démocratie elle-même doit s'effondrer. Cette réflexion, de plus en plus audible et consciente, se matérialise dans le monde médiatique et politique, où les tendances anti-démocratiques émergent et s'imposent au pouvoir. Cependant, toute réponse au problème démocratique de la rationalité humaine doit être pleinement informée de ce que la psychologie dit et ne dit pas, tout en comprenant la place de la vérité dans le processus démocratique.
En effet, si l'on affirme que la vérité n'a aucune place, comme le proclament certaines tendances relativistes, alors les biais ne sont jamais un problème. La démocratie perdrait toute valeur épistémique en ne permettant pas de prendre de meilleures décisions, et nous serions condamnés à vivre selon l'arbitraire des plus influents. La définition de la démocratie serait remise en question, le système serait instable et à la merci des plus radicaux. Par conséquent, elle ne semblerait plus aussi attrayante, mais elle resterait possible, faute de mieux.
Ce que nous voulons défendre, avec l'apport du travail du philosophe américain John Dewey, c'est que la démocratie n’est pas condamnée à être "le pire des systèmes à l'exclusion de tous les autres", comme le disait Churchill. Elle n’est pas non plus un système qu’il faudrait défendre uniquement parce qu’il est moralement supérieur aux autres. La démocratie ne devient pas illégitime et invalide parce que les biais cognitifs existent. La démocratie, celle qui intègre la vérité dans ses décisions, c'est-à-dire celle qui affirme que ses mécanismes, s'ils sont bien définis et appliqués, peuvent améliorer la prise de décisions malgré l'existence d'une rationalité défaillante et biaisée inhérente au raisonnement humain, cette démocratie, disions-nous, est non seulement possible, mais souhaitable, car elle est le meilleur des systèmes pour défendre efficacement le peuple.
- Démocratie et Éducation
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D'autres auteurs :
- La philosophie de John Dewey de Stéphane Madelrieux
- La démocratie radicale de Jean-Pierre Cometti
- John Dewey and american democracy de Robert B. Westbrook
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